Cela faisait plus d’un mois que je ne m’étais pas rendu en salles pour découvrir quelque chose de nouveau : quel meilleur film, donc, que Civil War, pour retourner en salles ? Le quatrième long-métrage d’Alex Garland a beaucoup fait parler de lui ces dernières semaines, et fait sensation aux États-Unis. Mais alors, qu’est-ce que ça vaut ?

Alex Garland est un cinéaste insaisissable : chaque nouveau film qu’il écrit ou met en scène se distingue, et se montre radicalement différent du précédent. Dans les années 2000, il était le scénariste phare de Danny Boyle, auteur de ses plus grand succès (La Plage ; 28 jours plus tard). La décennie suivante, il s’est forgé l’image de cinéaste audacieux et éclectique sous laquelle on le connaît aujourd’hui : son premier film, le troublant Ex Machina avec Alicia Vikander et Oscar Isaac (qui avait décroché l’Oscar du meilleur scénario ), s’intéressait aux dérives de l’intelligence artificielle. A suivi le très dérangeant Annihilation, dans lequel Natalie Portman menait une escouade de femmes militaires explorant « le Miroitement », une zone des Etats-Unis victime d’un étrange phénomène entraînant la mutation des êtres vivants qui y entrent. Il y a deux ans, c’était dans un autre registre, celui du thriller horrifique, qu’il s’était illustré avec le passé inaperçu Men, mettant en vedette Jessie Buckley – preuve qu’il sait s’entourer des meilleurs comédiens et comédiennes !

Pour son Civil War, il réunit (involontairement, le film ayant été tourné bien avant Priscilla) la première et la dernière héroïne de Sofia Coppola : Kirsten Dunst et Cailee Spaeny. Une vétérante de l’industrie que l’on ne présente plus, et une étoile montante qui multiplie les succès, qui incarnent ici respectivement une photographe de guerre émérite et une débutante déterminée à faire ses preuves dans cette plongée étouffante dans une Amérique divisée par une nouvelle guerre de sécession. Dans une nation en chute libre, où la violence règne et l’armée tire à vue, ces deux femmes et le reste de leur groupe vont tenter de rejoindre Washington afin d’interroger le Président sur sa gestion catastrophique de la crise. Un réalisateur remarqué, un casting de qualité et un pitch prometteur : Civil War s’annonçait comme l’un des films à ne pas manquer en cette première moitié de 2024. Et je dois dire que le résultat est globalement assez éloigné de ce qu’on pouvait s’imaginer – mais ce n’est pas un mal, loin de là.

Là où la plupart des spectateurs – moi y compris – s’attendait à un portrait incisif d’une Amérique en perdition, Alex Garland préfère plutôt dédier son film à un autre sujet (assez peu exploité sur grand écran, il faut le dire) : le journalisme de guerre. Au final, Civil War aurait bien pu se dérouler dans un autre pays – ça n’aurait pas changé grand-chose à l’intrigue, puisque le véritable intérêt du long-métrage, c’est le portrait qu’il dresse des reporters de guerre, ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie au cœur du danger pour permettre au monde entier de prendre conscience de la nature des conflits. A l’issue des presque 2 heures de film, on ne sait finalement pas grand-chose sur la guerre civile en cours : le metteur en scène prends le parti-pris de nous la faire vivre entièrement du point de vue de ses personnages principaux, qui sont totalement dans le flou concernant la situation à l’échelle nationale, et qui progressent tant bien que mal dans ce pays en déchéance. En l’absence d’informations claires, la menace est donc partout : un tireur caché dans sa maison et qui assassine tout ceux qui s’aventurent sur sa propriété, un fou qui en profite pour tuer par dizaines… Le camp auquel chacun appartient n’a pas vraiment d’importance.

Le plus grand atout de Civil War, c’est bel et bien sa mise en scène. Faire monter la tension, Alex Garland sait le faire à la perfection, et ce par des procédés très subtils, des petits détails qui viennent noircir des situations autrement on ne peut plus banals : des hommes armés postés sur les toits des buildings de Manhattan, de la fumée au loin ou encore des bruits d’explosions… C’est par petites touches que le cinéaste instille la paranoïa. Il y a une tension sous-jacente qui habite le long-métrage de la première à la dernière minute. Mais il ne faut pas croire que le film use uniquement de la suggestion pour parler du conflit, bien au contraire : l’horreur de la guerre est montrée frontalement à de très nombreuses reprises, dans toute sa brutalité ! Chaque coup de feu, chaque acte de violence montré à l’écran est redouté, et arrive finalement comme un choc qui vient assommer le spectateur, le point culminant de longues minutes d’angoisse, brillamment filmées par Garland.

Le scénario est aussi l’un des gros points forts de cette œuvre, en particulier lorsqu’il dépeint la vie des reporters de guerre, contraints de demeurer spectateurs de l’horreur, perpétuellement dans une indifférence forcée. Lorsque Jessie, la jeune photographe campée par Cailee Spaeny, bouleversée par une mise à mort, rumine l’horreur de la scène à laquelle elle vient d’assister, sa mentor, Lee, lui lance : « Nous témoignons pour que d’autres se posent ses questions ». Et effectivement, durant tout le long-métrage, Lee demeure impassible, imperturbable. C’est dans cette insensibilité qu’elle peut espérer faire le cliché parfait. Kirsten Dunst (qui m’avait déjà époustouflé dans le dernier film de Jane Campion, The Power of the Dog) parvient à incarner cette facette de son personnage avec brio. Dans l’ensemble, le casting se montre à la hauteur – on retiendra tout de même Jesse Plemons, qui en une demi-douzaine de minutes à l’écran, parvient à créer la peur chez le spectateur avec son personnage d’Américain radicalisé.

S’il y a quelque chose que je regrette dans ce film, c’est probablement son climax, assez mal amené et qui, malgré sa nature explosive (on parle quant même de l’assaut de la Maison Blanche !), est paradoxalement le passage le moins prenant du film, avec une conclusion attendue. Le chaos tonitruant d’un Washington a feu et à sang est bien moins effrayant que le silence mortel de la campagne américaine, où le danger peut se trouver n’importe où, et survenir n’importe quant. C’est dans ce calme vénéneux que Civil War est le plus impactant et, en même temps, le plus réaliste.

★★★★

Civil War

Réalisé par Alex Garland

Avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny…

En salles depuis le 17 avril 2024

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